On a le droit de s’en foutre…

Alors qu’il était sélectionneur et invité sur le plateau de Stade 2, Laurent Blanc, à la question « Il semble qu’il y ait des tensions entre les joueurs de différentes religions au sein de la sélection française. Quel est votre attitude à ce sujet? » – entendez « Paraît que les musulmans font chier. Allez-vous les faire filer droit? » – avait commencé sa réponse par:
« Moi, je respecte toutes les religions… »
Et tandis que Laurent Blanc poursuivait en expliquant qu’il y avait tout ce que l’on pouvait souhaiter aux buffets de l’Equipe de France, j’avais eu une folle envie d’éteindre ma télé.

Pourtant, c’est drôlement bien le respect. Et c’est encore mieux de respecter toutes les religions.

Mon expérience d’enseignant n’est probablement pas étrangère à la gêne que j’éprouvai alors. On devine vite les impensés et les faux semblants de la tarte à la crème du respect quand on entend deux fois par jour – mais on l’entend moins, non? – « le respect, c’est dans les deux sens », ou l’une de ses nombreuses variations. En fait, on pousserait un peu ses neurones qu’il apparaîtrait rapidement que ça veut plutôt dire que le mépris et l’injure devraient être des droits universels. Et plus encore, si l’on sort des échanges parfois houleux qui peuvent avoir lieu dans une classe, que l’indifférence devrait remplacer la fraternité sur le fronton des mairies.

J’ai lu ceci hier dans Enquête sur la démocratie de Pierre Manent:

« Cette crainte respectueuse devant la « liberté de l’autre » est certainement un des plus hauts sentiments humains. Mais elle n’est telle que lorsqu’elle s’allie pour l’éclairer au désir du bien de l’autre. Lorsqu’au contraire elle condense toute la moralité sociale, elle n’est plus que le point d’honneur spirituel d’un Etat de nature civilisé: les libertés ne communiquent plus que par le refus qu’elles se signifient. »

« Sois toujours libre, va, tu ne m’intéresses pas » est probablement la traduction la plus fidèle de cette précaution oratoire par laquelle on assure avant toute chose son interlocuteur de son respect.

Et c’est un peu gênant si l’on y songe que, dans le cas précis de notre ancien sélectionneur, les tensions plus ou moins réelles ou plus ou moins fantasmées au sein de l’Equipe de France aient conduit à une reformulation des principes de pluralisme et de laïcité en un truc du genre: on a le droit de s’en foutre du moment qu’ils ont du poulet à la cantoche.